Le
mardi 08 février 2022, le Général Aragonès, ancien Chef de Corps
du 8eRPIMa, est venu présenter sa troisième Conférence, sur le
thème des médias et de la communication en Opex, devant les élèves
des classes de défense de Barral, qui étaient ravis de le
retrouver.
Toujours
aussi efficace dans son propos, et très pédagogue face à un public
d’élèves de
de
2nde
et de 1ere, il a déroulé, devant eux, sa réflexion et ses analyses
sur la nécessité de savoir
communiquer lorsque les armées françaises sont sur un théâtre
d’opération extérieur, ce
que, par raccourci, on appelle en Opex.
Il
a commencé son exposé en définissant le sens des mots «
communication » et « information ».
La communication n’est jamais
facile, elle n’est pas toujours agréable pour un chef de corps en
opération, mais elle est d’une importance déterminante pour la
réussite des missions car, à travers elle, se construit l’image
que donnent les militaires de leur institution, de leur mission, à
l’ensemble des citoyens français.
Durant
les six mois de mission du « 8 » en Afghanistan, environ
70 journalistes sont venus les voir (presse écrite, télévision,
reportage type « envoyé spécial »). Cela provoquait une
charge de travail supplémentaire, en plus des patrouilles, en plus
de l’ennemi, en plus de la fatigue qui s’accumule. Cependant,
communiquer fait partie de toutes leurs opérations et si aujourd’hui
on ne communique pas sur ce que font les armées, il y a plusieurs
risques : d’une part, leurs missions sont inconnues et ils
n’existent pas, et d’autre part, ils n’ont même pas la
satisfaction de montrer, à leurs concitoyens, ce qu’ils font et ce
qu’ils savent faire.
La
communication et l’information sont deux choses très différentes.
Communiquer, c’est tout d’abord échanger un message entre un émetteur et un ou des récepteurs. Au sein d’une entreprise, la communication sert à présenter l’ensemble des produits, des services et son activité ; c’est exactement le même principe pour l’armée. Informer, c’est apporter au public une constatation, un évènement. Avant d’être transmise, l’information est mise en forme et donc, forcément, cela donne un biais à l’information que le journaliste transmet.
Dans
un premier temps, le Général Aragonès a expliqué comment l’armée
et son ministère s’organisent pour communiquer de façon à
transmettre un message positif sur ce que font les armées françaises
en France ou en déploiement extérieur. Il y a toute une chaine qui
se met en marche depuis le ministère des Armées, en passant par son
ministre, en lien avec l’état-major des armées. Dans chaque armée
il y a un SIRPA, Service d’Information et de Relation Publiques des
Armées. Et chaque état-major ou chaque unité dispose d’un
officier communication, ou off-com.
Lorsqu’ils
sont en opération, la chaîne de communication est beaucoup plus
courte ; ils dépendent directement de l’état-major des
armées/communication et ils ne passent plus par l’ensemble de la
chaîne hiérarchique. Chaque régiment a son officier de
communication. Ainsi, le lieutenant Hugo pour le 8e RPIMa : il
est chargé de communiquer à l’extérieur ce que fait le « 8 »
et quand il est en opération, il traite avec le conseiller de
communication du théâtre d’opération.
Les
officiers de communication sont des spécialistes, donc des officiers
sous contrat qu’ils engagent pour 5 ans ; à la suite de cela,
soit ils repartent sur d’autres activités, soit ils sont gardés
par le régiment du fait de leur travail remarquable. En Kapisa, en
Afghanistan, ils étaient chargés d’accueillir tous les
journalistes que Kaboul leur envoyait et de les encadrer pour les
différentes activités.
Ces
officiers de communication sont donc engagés pour 5 ans, et il y a
même des femmes. Ainsi Aurélie, qui est devenue l’off com du
Général Aragonès lorsqu’il était chef de Corps du 8 en
opération en Afghanistan. Pour Aurélie, par exemple, tout s’est
très bien passé, et lorsqu’elle est passée Capitaine, elle
a été envoyée à Toulouse
puis est allée à la brigade et aujourd’hui elle sert à
l’état-major de la région de Metz. Elle va passer Commandant
cette année avec un parcours très rapide : civile en avril
2008, jeune soldat en mai, jeune officier en juillet et en
Afghanistan en septembre 2008.
L’idée de base de la communication des armées est de présenter ce qu’ils font, en insistant sur l’aspect positif de leur travail. Les armées ne communiquent pas pour se faire plaisir, mais pour utiliser les médias et leur porte-voix afin d’atteindre chacun des citoyens français et leur monter ce que font les hommes envoyés en Opex, et notamment en Afghanistan, ce que font ceux qui sont au Mali ou encore ceux qui sont force de souveraineté en Nouvelle Calédonie ou à la Réunion. Ils portent avec eux l’image d’une France qui se bat pour ses intérêts et ses concitoyens même loin.
Ensuite,
le Général a expliqué pourquoi il fallait communiquer.
Aujourd’hui, dans notre monde, la communication est impérative
pour tous. De plus, lorsque plusieurs opérations militaires se
déroulent en même temps, il y en a souvent une qui est oubliée et
délaissée, et donc qui n’existe pas. Par exemple, l’opération
de Boali, 1er mandat, est complètement passée inaperçue et ça n’a
pas du tout été rapporté dans les médias. Donc à cause du focus
sur certaines choses, les médias vont surinformer ou sous-informer.
Une mission sans médiatisation ça n’existe pas, or en termes
d’engagement et de sacrifice personnel, le chef est obligé
d’informer pour ses soldats. Donc le chef militaire qui, par
crainte ou par répulsion, ne voudrait pas communiquer et qui serait
tenté de dire qu’il ne veut pas voir de journalistes, , ne
remplirait pas son obligation morale vis à vis de ses hommes.
Pour
les journalistes, il y a plusieurs façons d’envisager leur travail
et d’organiser leur déplacement :
–
voyage dans une zone à risques : l’armée française prend en
compte les journalistes et assure leur sécurité. Ils sont
accompagnés d’une autorité.
–
voyage de presse : il est organisé par Paris, il dure en
général une petite semaine (5-7 jours). Il y a une dizaine de
journalistes qui demandent aux chefs de leur construire un programme
et de leur faire des propositions d’activités et de gens à
interviewer.
–
reportage : composé d’une équipe de deux journalistes. Ils
vont les suivre partout.
Donc
ce n’est pas tout le temps très facile de tout gérer.
De plus, les journalistes essayent de tirer des d’informations lorsque les soldats sont dans l’action et cela risque de mettre en péril la mission. Recevoir une équipe de journalistes se prépare. Comment ? En liaison avec la chaîne des communicants. Certains journalistes viennent avec un thème bien précis mais d’autres n’ont pas du tout de thème. Donc là, il va y avoir un temps de réflexion avant que le responsable de la mission militaire accepte de se faire interviewer. Ce temps est lui-même divisé en trois temps :
–
préparer
–
conduire (les militaires s’occupent des journalistes)
–
évaluer (quel est le produit final ? Est-ce qu’ils sont
satisfaits du travail ?)
Préparer :
trois personnes vont être impliqués dans cette préparation (le
chef, son conseiller et les personnes qui vont être interviewées).
Pour tout préparer, une fois par semaine, le chef et son officier de
communication se réunissent pour regarder qui va venir, pour penser
aux différents messages qu’ils veulent envoyer… Savoir se
comporter avec un journaliste, cela s’apprend, car on ne peut pas
dire n’importe quoi. De ce fait, en faisant converger les attendus
de chacun, de très bons reportages sont faits. Le journaliste ne
fait pas ce qu’il veut, parce que sur les bases militaires, se
trouvent des zones interdites d’accès (PC de compagnie) du fait
des données classifiées secret-défense ; donc là par exemple, le
journaliste n’a pas le droit de filmer ou de photographier ce lieu.
De plus, les journalistes n’avaient non plus pas le droit de
prendre des vues d’ensemble de la base car l’ennemi pouvait vite
agrandir la photo et définir les endroits les plus sensibles pour
mieux les viser. Or l’objectif n’est pas que les journalistes
contribuent à améliorer les tirs ennemis sur les bases. Pour finir,
du fait du commandement Américain, les journalistes avant de venir
devaient signer une liste de choses à ne pas faire (ne pas prendre
de photos de soldats morts, ne pas prendre de photos de soldats
blessés et ne pas prendre de photos de personnes arrêtées) et
s’engager à la respecter.
Conduire:
Cette communication est conduite au quotidien parce que le programme
qui a été prévu, il faudra le réadapter en fonction des demandes
des équipes de journalistes car au final ils changent souvent
d’avis. C’est est le travail essentiel de l’officier de
communication, c’est lui qui, au jour le jour, va devoir
accompagner les journalistes, les faire monter dans les véhicules,
les emmener dans les bons endroits pour qu’ils rejoignent l’unité
avec laquelle ils vont partir, les conduire pour aller faire une
interview auprès de la personne concernée etc. Donc l’off-com
accompagne en permanence les journalistes, de façon à voir ce
qu’ils font, s’ils respectent les règles qu’ils ont signées
et à se rendre compte de tout ce qui peut être surprenant et donc
éventuellement faire remonter tout changement d’activité qui
seraient nécessaires.
Evaluer :
Il faut maintenant voir, si, finalement, le reportage obtenu, la
parution sortie dans la presse ou les news qui sont sorties au 20H de
TF1 ou autres, correspondent au message que le chef voulait envoyer
et sinon quel est le delta entre ce qu’il voulait faire passer et
ce qui a été reçu. Tout cela est analysé avec l’officier de
communication et, à deux, ils regardent ou écoutent le reportage ou
l’article et font un point (telle et telle choses ne sont peut-être
pas correctes ou mal rendues, c’est acceptable ou non, qu’est-ce
qu’il y faut faire pour la prochaine fois…)
A
la fin, le chef de corps s’entretient avec le journaliste et lui
demande comment ça s’est passé, qu’est-ce qu’il a retenu,
qu’est-ce qui l’a surpris et qu’est-ce qu’il n’a pas vu et
qu’il aurait aimé voir. A la fin de l’évaluation, il est
important de se dire que souvent, il va y avoir des approximations,
c’est à dire des fautes dans les appellations. C’est bien sûr
contrariant pour le chef, car il estime qu’il a affaire à des
professionnels de la communication et donc il attend d’eux un haut
niveau de fidélité dans l’information qu’ils vont
retransmettre. Donc, lorsqu’ils ne sont pas d’accord avec ce qu’a
écrit le journaliste, il faut positiver le discours, il ne faut pas
lui dire que ce qu’il a écrit est nul et faux, mais il faut lui
faire comprendre que la retranscription n’est pas complètement
exacte. Il vaut mieux essayer de travailler avec lui que contre lui.
De
plus, les journalistes aiment travailler avec certaines personnes
plus que d’autres. Par exemple, l’absence de contrôle, la
réactivité, le peu de méfiance… Toutes ces petites actions
montrent aux journalistes qu’on leur fait confiance, ce qui leur
plait. Il ne faut pas oublier que les journalistes sont imprégnés,
eux aussi, d’une haute idée de leur mission : informer, et
qu’ils viennent avec leurs qualités et leurs défauts personnels.
Dans les articles des journalistes, il y de très bonnes choses, mais
il y a aussi des choses très décalées ou parfois moins honnêtes.
Tout ce qui est écrit ou publié n’est pas toujours juste, on peut
accepter une erreur de la part d’un journaliste, parce qu’un
journaliste a le droit de commettre des erreurs, comme tout le monde,
mais quand c’est délibéré, ce n’est plus une erreur mais de la
désinformation.
Le général Aragonès a, alors, évoqué l’envers du décor et a montré que parfois il existait des difficultés relationnelles avec les Media. Ces difficultés vont de l’approximation, souvent liée à une erreur humaine, à la désinformation délibérée visant à créer un événement ou une information inexistante. En effet l’approximation est constatée quand ce qui est écrit ou relaté n’est pas juste et précis. Ce genre d’erreur est tout à fait tolérable, bien que peu professionnelle, quand elle n’est pas volontaire. Cependant on constate parfois de la mauvaise foi, qui à ce moment devient inacceptable. Ainsi le Général a donné l’exemple d’un article relevant des incidents avec des enfants, agressifs vis-à-vis de militaires du « 8 », alors que la réalité était bien plus banale. Au-delà de cet épisode, le Général a insisté sur un article de Paris-Match qui avait interviewé un chef Taliban présent lors de l’embuscade d’Uzbin. En effet, lors de l’embuscade d’Uzbin, les talibans ont récupéré des équipements français : gilet pare-balle, casque, armes. Tout cela était bien connu. Mais la journaliste de Paris Match a interviewé les Talibans, et a joué leur jeu de propagande, en particulier en ramenant la montre d’un soldat, tué lors de ce combat, pour la remettre à la famille.
On constate que dans notre société il est plus lucratif et porteur pour un journaliste de jouer sur la fibre spectacle et émotion que sur celle de la mise en perspective et de la réflexion. On réalise aussi que le « droit à l’information » est une légitimation facile de tous les comportements, même les plus déviants. Car avant tout, malheureusement, il s’agit bien d’argent. Soit individuellement au sein d’une rédaction, soit collectivement pour une publication ou une chaine de télévision face à la concurrence.
En conclusion le Général a rappelé
que, personne pas même un journaliste, ne peut prédire l’écho
qu’aura une information avant sa diffusion. Communiquer c’est
difficile, mais c’est d’une importance déterminante pour la
réussite des missions militaires et l’image que donnent les armées
aux concitoyens. Il a terminé sa présentation en rappelant
qu’aucune communication ou information n’est jamais neutre. Tout
est plus ou moins biaisé, volontairement ou inconsciemment. D’où
la plus grande nécessité, de sortir de l’émotion, de prendre du
recul et de réfléchir à la mise en perspective : c’est-à-dire
de faire preuve d’esprit critique !!!
Article de Clarisse Guiraud et Jean
Baptiste Aragonès, élèves de 2de Classes de Défense de Barral
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